Voilà ce que ça peut donner quand j’écris :
(Installée confortablement sur le lit, le portable sur soi, de la musique dans les oreilles. Je commence toujours par relire ce que j’ai écrit le plus récemment.)

« Bon alors… J’ai fait une transition sur Lynn, qui est vraisemblablement avec Keina et Maria dans l’appartement de cette dernière. (NB : non, dans ma tête, je ne pense pas de façon si littéraire, mais c’est ce que ça donne, en gros.) Scène intimiste, occasion pour moi d’esquisser un peu mieux le caractère de Maria. D’accord. Alors… Voyons voir. L’appartement de Maria est très féminin, en contraste complet avec celui de Lynn. Il est rempli de bibelots en porcelaine. Il « s’encombrait », oui, bien, ça. « L’appartement de Maria s’encombrait de porcelaines » – pas besoin de préciser que ce sont des bibelots, on le comprend. Bon, d’accord, ça c’est pour le côté descriptif de la chose. Mais ça fait quoi comme effet ? Fermons les yeux. Essayons de nous imaginer. Ce sont tout un tas de statuettes immobiles, blanches ou pastels. Beurk, c’est un peu malsain. « L’appartement de Maria s’encombrait de porcelaines immobiles… » Non, « immobiles », c’est pas beau et trop commun. « … de porcelaines aux poses statiques ? Non. Figées ? Ah oui, il y a du mieux. Relisons ça. « L’appartement de Maria s’encombrait de porcelaines aux… – non. …dont les poses figées donnaient à Keina l’impression… » l’impression de quoi ? Pas très agréable, ça c’est sûr. Mais c’est trop vague. Ca donne quoi, concrétement, comme impression, de se retrouver au milieu d’un tas de porcelaines figées ? Réfléchissons… Réfléchissons… On se croirait un peu dans un cimetière, non ? Avec ces statuettes et ces plaques mortuaires blanchâtres… Oui, c’est pas mal, ça. « donnaient »… non, « procuraient (plus précis, plus ciblé, évite des répétitions) à Keina l’impression de se trouver au milieu d’un cimetière… » Bof. Elle n’est pas à l’extérieur, en même temps. Ce serait plutôt dans un mausolée, ou un truc du genre. Comment on appelle les constructions dans les cimetières ? Des… mortuaires. Ah oui, des chapelles mortuaires ! « … procuraient à Keina la désagréable impression de se trouver au centre d’une chapelle mortuaire ». Il y a du mieux. Relisons depuis le début. « L’appartement de Maria s’encombrait de porcelaines dont les poses figées procuraient à Keina l’impression » – Pas désagréable, plutôt déplaisante. « … procuraient à Keina l’impression déplaisante de se trouver – non, de siéger – au centre – au coeur d’une chapelle mortuaire ». Hum. Encore une fois. « L’appartement de Maria s’encombrait de porcelaines dont les poses figées procuraient à Keina l’impression déplaisante de siéger au coeur d’une chapelle mortuaire ». Il y a du mieux. On verra plus tard si on peut retravailler ça. Continuons. Les poupées ! J’avais dit qu’il y aurait des poupées en porcelaine. Ok. Elles sont sur une étagère. Non, un meuble plutôt. Une commode ? Bof, pas sûre qu’il y en ait à cette époque dans les salons. Tant pis, on va laisser ça et corriger plus tard, après quelques recherches. « En haut d’une commode… » Beurk. Pas « en haut ». Pourquoi pas « À l’apogée » ? Bon, d’accord, ça fait un peu prétentieux, mais j’aime bien. Je laisse pour le moment. Si un lecteur tique, il sera bien temps de changer. « À l’apogée d’une commode, une rangée de poupées… » Comme on a déjà parlé de porcelaine, je ne vais pas répéter le mot. Tant pis. « fixaient la silfine de leurs yeux de verre » Eurk ! Que c’est moche ! « fixaient leurs pupilles… » Ouep, carrément mieux. « fixaient leurs pupilles de verre sur la silfine ». Ok, je garde, et j’en rajoute. « fixaient leurs pupille de verre sur la silfine qui gigota, mal à l’aise, dans sa robe de coton » – non, de lin, tiens, pour changer. Keina ne porte pas des vêtements luxueux. « dans sa robe de lin aux couleurs… » ah, mince, j’ai déjà utilisé le mot couleur dans la scène d’avant. Bah, j’ai qu’à mettre une fois « tons » à la place de « couleurs », et je garde « couleurs » pour ici. « …aux couleurs de l’automne » … « …aux couleurs automnales »… automne ?… automnale ?… Bon, je garde « automnales ».
Qu’est-ce qu’elle fait ? Elle bois du thé ? Non, elle en boit déjà dans la scène précédente. Je sais bien qu’elle est anglaise, mais bon, quand même, ça va faire louche. On va dire qu’elle écoute simplement Maria, qui est en train de parler. Maria, par contre, pourrait être en train de broder ! Pas Keina, elle n’est pas du genre à broder. Ok. Donc, Maria… non, « Sa consoeur… » « Sa consoeur, concentrée sur… » sur quoi ? Sa broderie ? « Sa consoeur, concentrée sur sa broderie… » Mouais. C’est quoi, le support qui permet de broder ? Un canevas, non ? « Sa consoeur, concentrée sur son canevas, qu’elle… » Euh… Bon, qu’est-ce qu’elle fait, exactement ? Visualisons. Elle enfonce son aiguille par à-coup dans le canevas, pour y apposer de la couleur. Ok. Comment transcrire ça ? « Sa consoeur, concentrée sur son canevas, dans lequel elle enfonçait son aiguille… » Beurk, beurk, beurk ! Ca ne va pas du tout ! Réfléchissons. Concentration. Elle appose de la couleur. « Sa consoeur, concentrée sur son canevas, qu’elle agrémentait au gré… » Euh, bof, pas terrible l’assonnance. « … qu’elle décorait… » ou bien « … qu’elle agrémentait au fil… » Non, non, non, ça va pas du tout. Respiration. On recommence. « Sa consoeur, concentrée sur son canevas, qu’elle décorait… rehaussait ! …qu’elle rehaussait au gré de son aiguille de couleurs… » Ah merde, je répète encore « couleurs ». « Tons », ça ne va pas non plus. « … qu’elle rehaussait au gré de son aiguille de… touches vives » Ok, la suite. « Sa consoeur, concentrée sur son canevas, qu’elle rehaussait au gré de son aiguille de touches vives (c’est pas encore ça, mais on va faire avec), parlait d’une voix… » Ah. Sa voix. Elle est un peu grave, mais pas rauque. Plutôt calme, mais pas monocorde non plus. On va dire « douce ». Et « masculine », mais juste un peu. « …parlait d’une voix douce, un peu masculine… » Oui, je cerne à peu près. J’espère que mes lecteurs aussi. « …parlait d’une voix douce, un peu masculine, qui contrastait… » Ah bah oui, on peut dire que ça contraste. Mais ça contraste avec quoi ? Son intérieur girly ? Euh… définitivement anachronique. Son intérieur guimauve ? Non, c’est pas vraiment ça, c’est plus « foisonnant ». Ou… « baroque » ! Oui, c’est exactement ça, c’est complétement baroque, comme atmosphère ! C’est excessif ! Donc, nous disions… « parlait d’une voix douce, un peu masculine, qui contrastait avec les excès baroques de son intérieur ». Hop, adjugé, vendu. Maintenant, relisons tout ça pour juger de l’effet… »

Voilà. Il s’est passé une demi-heure, et j’ai écrit… six lignes. Six lignes que je me suis déjà remise à corriger pendant que j’écrivais sur ce journal. Vous comprenez, maintenant, pourquoi je suis si lente à écrire ? Enfin, heureusement pour moi que les lecteurs, en lisant l’histoire, ne lisent pas en même temps le cheminement de l’auteur pour en arriver là. Sinon, qu’est-ce que je serai em***dante !


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